Son corps reposait sur le sol. L’épaisse
couche de mousse créait un effet d’apesanteur plutôt agréable, atténuant
légèrement la douleur qui grugeait sa poitrine. Sa respiration se mêlait au
vent, souffle de terre et d’âme, ondulant à l’unisson entre les brins d’herbe puis
revenant à sa source, empli de parfum d’humus et de fleurs. À force de n’être
accueillies que d’un simple regard empathique, les pensées s’étaient tues. Le
silence de l’instant n’était troublé d’aucune tentative mentale de regret, de
désir, de peur, de rage, ni de joie. Le silence, puis le souffle.
Alors le vert l’envahit. Une tige transperça ses
entrailles et s’élança vers le ciel, un flot brunâtre s’écoulant à sa base,
vase malodorante et visqueuse qui, rapidement, devint d’un noir d’encre parsemé
de filaments rouges. La tige se divisa, en deux puis en quatre, cinq, six tiges
grouillantes, se débattant, se déployant pour devenir d’immenses bras ossus.
Leurs mains entreprirent une fouille complète de ce corps étendu, vulnérable.
Les longs doigts s’enfoncèrent dans la chair, extirpant une à une des pierres,
grosses et petites aux arêtes acérées. Rapidement, le sol en fut jonché. Puis, les
mains se transformèrent en autant de maillets destructeurs, frappant et broyant
ces roches maudites qui éclataient en mille morceaux et devenaient aussitôt poussière
sèche et volatile.
Dès lors, leurs mouvements devinrent plus
gracieux, transformant les bras en plumes, puis en formes humaines. Une petite
fille se matérialisa, boudeuse et critique. Elle proféra quelques insultes puis
disparut. Un vieillard lui succéda, puis un homme lui ressemblant, souriant.
Son regard était doux et aimant, mais il pleurait. Une jeune femme très belle
apparut aussi, elle dansait doucement, sensuellement. Son visage se transforma,
se ridant très vite, trop vite. Un cri sembla s’échapper de sa bouche, un cri
de désespoir insoutenable, puis elle disparut à son tour. Cette ronde de
visages et de formes continua longtemps. Son corps gisant les regardait défiler
et des larmes coulaient sur ses joues, mais l’abandon était total et aucun geste,
aucune tentative de contact ne vint le troubler. Seule d’intenses vagues
d’émotions à la vue de ces gens marquants, souvenirs importants de phases de
vie, de carrefours, de joies et de peines. Cortège de tranches de vie vomi en
fontaine par ce corps malade. Rituel de guérison permettant d’exsuder
spontanément ces blocages cristallisés devenus empoisonneurs malicieux.
La terre sorcière continua son travail de
métamorphose sur cet être consentant. Un jeune cerf, un loup, une moufette, un
hibou, une corneille et un orignal vinrent remplacer les visages. Leurs
langages animaux retentirent et tour à tour, ils s’approchèrent et léchèrent
les plaies, nettoyant le corps lacéré. Alors les oiseaux s’envolèrent et de leurs
ailes ils balayèrent le sol couvert de cendres et de poussières.
Le vert réapparut et de ses entrailles jaillit
un souffle de baleine, propulsant jusqu’à la cime des arbres une pluie argentée
qui emplit l’espace d’une douce lumière dans laquelle tout disparut. Seul son
corps demeura, allongé et immobile.
Lentement, ses paupières s’ouvrirent.
- J’ai la curieuse impression d’émerger d’une
douche chaude, ou peut-être d’un bain flottant, furent ses premiers mots.
- Aimerais-tu un peu d’eau ?
- Non, merci.
- J’aime ces méditations, ces visualisations.
Elles me transportent en moi, des fois avec douceur, des fois plus violemment. Celle-ci
m’a fait les deux effets. J’ai la sensation de parler avec mes cellules, ou de
les entendre me dire des choses, m’expliquer leur comportement. C’est fascinant !
Magnifique ! Comme si ma conscience devenait d’une infinie humilité et qu’elle
s’assoyait avec mon inconscient pour écouter son histoire, entendre sa sagesse
et ainsi, apprendre qui je suis entièrement. J’ai l’impression d’être moi et
d’être tout à la fois, la sensation d’embrasser la vie, l’infini, chaque
humain, animal, plante, pierre, gaz, élément.
La maladie, qui défie mon être aussi, fait
partie de ce tout. Par cette connexion à mon intériorité, je sens que toute la
force, toute la paix de la vie m’aide à faire circuler l’énergie que je
possède, à l’harmoniser. Merci !
- Merci à toi !
- J’ai vu aujourd’hui des visages troublants
de personnes qui ont marqué ma vie. Tu vois, avant, j’aurais eu envie de leur
parler, de leur exprimer mes colères, mes peines, de leur faire des reproches,
de leur dire à quel point ils ont bousillé ma vie. Plus maintenant. Non. Mon
intérieur et moi sommes désormais d’accord pour les remercier de tout cœur
d’être les totems qu’ils sont et ont toujours été pour moi !
Son rire résonna dans l’air comme l’écho de
toutes les résiliences. Après cette hilarité contagieuse, la nuit était tombée.
Je l’aidai à s’allonger. En bordant son corps chaud, je ne pus m’empêcher de
constater qu’effectivement, il était différent. Nous sourîmes.
- À demain !
Oui, à demain.
Annie Rouleau
Herboriste praticienne
annieaire@gmail.com
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire