mardi 4 octobre 2016

Petits cochons et papillons

Les populations vulnérables et menacées sont nombreuses. L’envahissement par l’humain d’écosystèmes fragiles et de territoires riches met depuis longtemps en péril la survie des premières nations, humaines, animales et végétales. C’est connu, mais chaque fois qu’un mot sur cette réalité pénètre ma conscience, je ne peux m’empêcher d’être envahie par une puissante onde de tristesse.
De petites colonies de plantes extraordinaires subsistent ainsi ça et là, protégées par nos instances en la matière. C’est le cas notamment de l’asclépiade tubéreuse, Asclepias tuberosa. Sa cousine, l’asclépiade commune ou Asclepias syriaca, est la variété la plus courante par ici. Celle-ci ne souffre pas du statut d’espèce menacée. Elle pousse un peu partout, en petits groupes dans les grands champs ensoleillés. Mettre son nez dans un bouquet d’asclépiade est troublant. Son parfum frais et léger est si délicieux qu’il en ouvre l’appétit.

De la plante sont comestibles la plupart des parties. Les jeunes pousses au printemps, cuites comme l’asperge à la différence qu’il est conseillé de les blanchir dans trois eaux successives pour s’assurer que toute toxicité soit écartée. Notez qu’en ce qui concerne l’asclépiade commune, les avis sont partagés à ce sujet. Mais il semble que les hétérosides cardiotoniques (cardénolides) moyennement toxiques contenus dans la plantes sont solubles dans l’eau. Jeter celle-ci en élimine donc la quasi-totalité. Les jeunes tiges devraient être récoltées avant qu’elles n’atteignent vingt centimètres de hauteur. Leurs nombreuses feuilles sont alors collées sur la tige. Il est important de bien les identifier pour éviter toute confusion d’espèce et se retrouver avec de l’apocyn chanvrin. Les tiges de ce dernier sont beaucoup plus rigides que celles de l’asclépiade. Elles ont aussi une teinte rougeâtre distincte du vert tendre de l’asclépiade.

Les boutons floraux, blanchis trois minutes, puis légèrement panés et frits, ou préparés comme des brocolis, sont aussi délectables. Les fruits cueillis tout bébé, ceux parfois appelés petits cochons, qui s’ouvrent à l’automne et lancent au grand vent leurs graines soyeuses. Il est important de s’assurer qu’ils sont immatures. Le plus simple, si vous doutez, sera de les récolter avant qu’ils ne dépassent cinq centimètres de long. Les blanchir dans quelques eaux bouillantes successives si vous craignez le latex. Ils peuvent ensuite être cuisinés avec d’autres légumes verts, ou poêlés, servis avec un peu de citron ou de fromage. Les livres de SamuelThayer, The Forager’s Harvest et Nature’s Garden sont des incontournables pour quiconque souhaite intégrer des plantes sauvages à son assiette.

L’asclépiade est aussi utilisé dans l’industrie textile. La soie attachée à la graine, permettant la dissémination, est extraordinairement chaude, isolante, imperméable et absorbante. Une entreprise de Granby, Productions ÉTIC en exploite les qualités. Avis aux personnes intéressées, ils recrutent des producteurs.

La plus médicinales des asclépiades est l’Asclepias tuberosa, pratiquement disparue au Québec comme je mentionnais précédemment. Les colons anglais l’ont baptisé « pleurisy root », en référence à l’aide fantastique que son rhizome offre dans le traitement de la pleurésie, comme de la majorité des infections pulmonaires : bronchite, pneumonie, catarrhe, grosse toux sèche.  Il relaxe les bronches et bronchioles, diminue les spasmes, favorise l’élimination du mucus. L’asclépiade agit aussi sur la fièvre, stimulant la sudation et la dispersion des fluides.

La médecine traditionnelle chinoise dit que le poumon disperse et diffuse les fluides et le Qi. Il favorise la perméabilité des tissus et la douce distribution des substances, vers l’extérieur via la peau et vers le bas jusqu’au rein. Ceci résume assez bien l’action de l’asclépiade. L’observation des gousses, selon la Théorie des signatures, permet le même type de raisonnement : à l’automne, les gousses s’ouvrent et laisse le vent disperser leurs graines dans toutes les directions. L’image est jolie et donne une bonne idée, je trouve, du potentiel de drainage et d’évacuation de la plante.

Il convient alors de se demander pourquoi l’asclépiade est-elle si peu usitée ? L’Asclepias tuberosa est pourtant utilisée depuis des millénaires par les peuples autochtones, puis par les médecins arrivés d’Europe, ayant appris ses usages des premières nations. Pour plusieurs auteurs, l’Asclepias syriaca possède les mêmes propriétés médicinales que sa cousine. Leur potentiel toxique semble ainsi être la cause de leur désuétude. Certaines précautions les rendent toutefois sécuritaires et permettent de bénéficier des merveilles quelles offrent. La première étant de consulter son herboriste avant d’envisager de l’utiliser pour ses vertus médicinales, en particulier pour les personnes avec des troubles cardiaques, les femmes enceintes ou allaitantes, les bébés, les personnes âgées. La combiner à d’autres plantes est aussi une bonne idée, tout comme de limiter la durée du traitement. Autrement, faites comme les papillons monarques qui s’en nourrissent allègrement et cuisinez l’asclépiade du printemps à l’automne, même durant l’hiver pour les adeptes de la congélation.

Bon appétit !

PS L'automne est le parfait moment pour semer de l'asclépiade. La fondation David Suzuki en vend sur le net via son site internet, avec instructions et tout. Elle pousse bien et nourri les monarques alors, pourquoi se retenir :-)

Annie Rouleau
Herboriste praticienne

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