La nature terrestre est merveilleuse, je le
dis souvent dans ces pages. J’aime ses sautes d’humeur, ses contrastes, ses
crescendos extraordinaires. Ses aubes pâles de printemps, ses envolées lyriques
de poésie automnale.
Mais surtout, surtout, j’aime l’été ! Ses trente-cinq
degrés à l’ombre, l’eau glacée des ruisseaux qui fouette le sang en plein
soleil. Les lacs noirs, les arbres, le sous-bois, les plantes.
Quelle chance avons nous de vivre dans autant
de beauté. Certains l’oublient souvent, malheureusement, saccageant des lieux
précieux pour quelques poignées de dollars de plus. Je trouve ainsi tout à fait
jouissif de voir les humains aux prises avec une nature difficile et têtue,
contrariant l’activité.
J’aime aussi observer les liens qu’elle
suggère dans sa relation avec notre espèce. Comme l’attirance d’une personne
envers une fleur particulière plutôt qu’une autre, ou la présence spontanée
d’une plante dans l’entourage d’une personne en particulier plutôt qu’une
autre. Il est amusant de constater combien ces attraits et proximités peuvent
en dire long sur les besoins des gens.
Il y a plusieurs années, la région de Brossard
principalement était littéralement envahie de valériane. Cette longue plante de
terres en friche, de rives et de lieux ouverts est une bonne amie des
insomniaques et autres grands tendus ayant fortement besoin d’un relaxant.
Alors je me suis dis que les habitants de Brossard avaient sans doute bien besoin
de dormir !
Ou encore, cette dame qui affectionne tant les
million d’hydrangées qui poussent devant chez-elle. Peut-être les chérit-elle à
ce point parce qu’inconsciemment, elle sait qu’elle pourra les utiliser plus
tard pour soigner la prostate de son homme !
Amusant je trouve !
Mais la plante de laquelle j’ai envie de vous
parler ne propose pas de correspondance claire quand à la raison de sa présence,
pourtant si intense et dérangeante. Je parle de la renouée du Japon, le Polygonum cuspidatum, ou Fallopia japonica. Celle-ci ne me fait
aucunement rire par contre, je la trouve même un peu épeurante parce que si
efficacement envahissante. Tout de cette plante me laisse perplexe. Admirative,
mais perplexe. Admirative quand à son importance dans la pharmacopée mondiale,
mais perplexe surtout par rapport à son impact négatif sur les autres espèces
végétales qu’elle extermine de sa simple présence, allant jusqu’à relâcher des
toxines souterraines empêchant les autres plantes, arbres et arbustes de
pousser à proximité. Les berges des ruisseaux en regorgent de plus en plus,
comme nous le constatons tous j’imagine.
Par contre, tout de cette plante est
incroyablement médicinal. J’y reviendrai dans un prochain texte, le sujet
méritant beaucoup de mots.
Observons seulement son comportement. La
renouée du Japon affectionne les sols humides et riches des bordures de cours
d’eau, de même que les terres alluviales, donc nouvellement ou fréquemment
perturbées, entre autre par l’activité humaine.
Sa présence sur les rives est particulièrement
intéressante puisqu’en empêchant le peuplement par des espèces indigènes, qui
elles assurent la fixation du sol, la renouée utilise l’érosion pour étendre sa
colonisation. Il suffit en effet d’un tout petit bout de rhizome pour générer
une nouvelle plante… Il est aisé de visualiser une crue printanière entrainant
sur son passage des parcelles de berges jonchées de fragments de renouée,
dévalant quelques kilomètres, semant ça et là de nouvelles colonies. Très
efficace comme technique ne trouvez-vous pas ?
Mais que diable une telle invasion peut-elle
servir?
Les cours d’eau ? Aucun intérêt de prime
abord. Sauf peut-être leur élargissement, s’il est souhaité bien entendu. La
faune non plus n’est pas gagnante, perdant les précieuses zones d’ombres
produites par les arbres. Mais est-ce tout ? Ces rhizomes, pouvant
atteindre dix mètres de long et s’enfoncer jusqu’à trois mètres dans le sol,
faisant partie de dense colonies monospécifiques ne sont ils vraiment d’aucune
utilité pour leur environnement ?
Honnêtement je ne sais répondre à cette
question. Pas encore du moins mais elle m’intrigue. Comme la présence de
l’hydrangée ou celle de la valériane. Je dirai seulement que le comportement de
la renouée du Japon n’est pas sans rappeler celui de nombreux humains.
Nous avons donc un bel été de réflexion en perspective !
Entre temps, certains pays, notamment le notre,
semblent sur la piste de techniques de lutte efficaces, comme celle d’utiliser
une solution saline injectée à cinquante centimètres dans le sol à proximité
des plants coupés, trois à quatre semaines après l’étêtage 1. Cette
même coupe est essentielle à la fragilisation de la colonie.
Que faire des pousses coupées ? Les
cuisiner comme des asperges pardi !
Après la coupe des
jeunes pousses de renouée du japon, pelez les, mettez les a cuire dans l'eau
bouillante salée, ou vapeur, une vingtaine de minutes. Égouttez les et laissez
les refroidir. Servez les nappées d'une vinaigrette à l’échalote ou d’une
émulsion de fines herbes !
Nous en reparlerons.
Annie Rouleau
Herboriste praticienne
1 Succès dans l'éradication de la renouée du japon, par Julien Poisson, 14
mars 2014, blog, Conservation de la nature Canada (CNC)
http://www.natureconservancy.ca/en/blog/la-renoue-japonaise.html
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